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In Le Combat, 1re année, n° 10 (24 décembre 1905)

Babillarde d’un ouvri

par Justin Pinot

dimanche 29 janvier 2023


Article paru dans In Le Combat (Tourcoing), 1re année, n° 10 (24 décembre 1905).

J’ai été imbété pindant au moins 8 jours par in p’tit machin qui clôt din in article du Socialiste d’il y a 15 jours et qui a été discuté inn’ mioche din les Tcmps Nouveaux de l’semaine dernire. Ch’est naturellemint toudi l’grand Cho qui m’immerde l’pus avec tout chin qui peut m’faire inragi, ch’est donc li qui l’premi d’[nous ?] m’a fait lire chin qui sait :

« C’est ainsi que le camarade Dhooghe [1] au nom des libertaires de Reims — plus exactement des camarades “Syndicalistes anti-parlemenlaires” suivant leur propre explication — vint déclarer en plusieurs réunions qu’en présence du caractère socialiste incontestable de l’œuvre poursuivie par le candidat du Parti, ses amis et lui voteraient tous pour lui et joindraient leurs efforts à ceux des militants de la section rémoise. »

Faut-il vous dire que je l’ai été estomatchi ?

Bon qu’je m’dis, hé sacré nom de dieu, cha ch’est acor mieux ! Ch’cst-y possible ?!
Est-ce que j’ai bin vu clair ? Mais ouais, cha y est eh’est ainsi, y parait que l’petit Doche [2] ch’est ainsi qu’nous l’app’lons di m’famille — ingache les libertaires à voter. Mille pets d’nonette, ch’est pus fort que d’jeuer au bouchon avec des louis d’or, quo ch’est li qui arot dit cha ! j’vous prie d’croire que je n’étos bougremint imbété, et, n’pinsez po qu’cha provenot de c’quc j’aros pu croire que l’comarate étot pu infaillible qu’un [xx ?]te, bernique, din d’tout cha, personne n’est capable d’rester toudi parel à li-mèmc étant jeune ou vieux, riche ou pauf. Tout l’monde peut tchangi in tant soit peu et y n’y a po d’ malheur à cha, seul’mint y a des limites à tout. Ainsi je n’cros pas qu’in puche sérieusemint avoir été libertaire et devenir votard et, connaichant bin Doche qui est un d’nos p’tit prosélytes du Pile, je m’dijo : « Min viens Pinot, y a du louche là d’ssous » J’ai voulu eu n’avoir l’tchœur net et j’li est écri afin d’savoir à quo min t’nir et v’ia cbin qui m’a été répondu :

« Très cher ami, veuillez bien ne pas épouser l’opinion sincère mais erronée du citoyen Jean Longuet [3]. Si par déférence pour nos camarades ouvriers socialistes, si pour des raisons particulières, que tu ne pourrais apprécier n’étant pas sur les lieux, nous n’avons pas fait de propagande systématiquement abstentionniste dans la première période de la campagne électorale, nous n’avons cependant jamais dit que nous voterions, qu’il fallait voter pour l’un quelconque des candidats. Dans les réunions j’ai dit ce que j’écris dans notre petit "Germinal" et dans le "Combat", ce que je pense, tout ce que je pense de l’action sociale et syndicale de la classe ouvrière. J’ai dit que les travailleurs ne doivent compter que sur leur seule volonté et sur leurs seules forces pour améliorer leur sort et j’ai encore engager mes camarades « à se garer de l’État plutôt que de lui prêter la moindre confiance, le plus insignifiant appui ». L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Ce n’est pas avec ces paroles là qu’on fait des votards.

« L’opinion de Longuet est donc fausse, mais je répète qu’elle est sincère. Je suppose que le camarade est resté sous le coup d’un mirage, il a pu croire que le concours par nous apporté à la partie d’action socialiste d’affirmation révolutionnaire contenue dans la propagande faite à propos d’une élection
était dans notre esprit comme dans le sien un moyen aux fins électorales. Il s’est trompé voilà tout. Quand je soulignais certains passages des discours de Révelin [4] pour étayer une argumentation , syndicaliste je n’entendais jamais pousser les ouvriers aux urnes non plus que je ne croirais l’envoyer à la messe en te rappelant le « Tu ne tueras pas » de Jésus.

Mais c’est trop s’attarder à bien peu de chose, parlons un brin de notre propagande … Chi. Dhooghie. »

Arrêtons-nous là, in v’ia assez, l’grand Cho n’pourra pu rin dire, j’in sus fin contint d’autant surtout que j’peux aussi li moutrer in article paru din in journal de Reims qui pourra li in bouchi in coin.

Avec tout cha j’nai rin dit de c’que j’dévos vous interténir cheult’ semaine. Mais
pusque tout peul faire du mouvemint contintons-nous de r’porter la sute de mes babillardes à l’semaine prochaine. Aussi, ch’est atindu, à la revoyure.

D’Justin Pinot.

Notes

[1Charles Dhooghe (1878-1962), ouvrier tisseur, syndicaliste et anarchiste, puis réformiste.

[2Charles Dhooghe.

[3Est-ce Jean Longuet (1876-1838), avocat et journaliste ?

[4Louis Révelin (1865-1922), militant socialiste de la Marne et de la Seine.